Conversation imaginaire située vers le mois de juillet de l'an de grâce 2010 et issue des informations récoltées dans les médias. Comme j'ai une totale confiance en la justice de mon pays, il s'agit bien entendu d'une pure fiction d'écrivain élucubrée par mon cerveau tordu ; à la rigueur une simple hypothèse qui se nourrit d'apparences et de ragots et qui sera probablement balayée par le triomphal dénouement de cette triste affaire. Et c'est ainsi que, heureusement, justice sera faite. Alexandre Vialatte aurait conclut : " Et c'est ainsi qu'Allah est grand".
-Allo Philippe ? c'est Nicolas !
- Bonjour Monsieur le président, soyez assuré Monsieur le président de ...
- Bon, ne perdons pas de temps, voulez-vous, en formules de politesse. Je vous téléphone au sujet d'Eric Woerth. Figurez-vous qu'il est dans la merde et nous aussi, avec ces histoires d'enregistrements des conversations de Liliane par un enfoiré de majordome. Les médias sont en train d'en faire une montagne, surtout la presse en ligne, parce que l'autre je la tiens en main et la télé aussi. Enfin, presque. Je vous signale qu'en plus vous êtes cité dans les enregistrements et moi aussi. On est dans de beaux draps, d'autant que la réforme des retraites est sur le feu et que c'est Woerth qui s'en occupe. C'est un dossier délicat qui demande du doigté ... et une bonne dose de vaseline. La France d'en-bas risque de ruer dans les brancards et il faut que j'arrive à la convaincre que cette réforme est nécessaire, et surtout nécessaire comme moi je la veux. Donc ça tombe très très mal.
- Et qu'attendez-vous de moi Monsieur le président ?
- Prenez les choses en main et freinez à mort. Il faut maintenir Woerth en vie artificielle jusqu'au vote du parlement. À mon avis il est cramé, Éric. Il connait très bien De Maistre, l'homme d'affaire de Liliane, Il connait aussi très bien Liliane. Et en plus il a eu la mirifique idée de faire engager sa bonne femme chez De Maistre, et vous savez quoi ?
- Non Monsieur le président
- Et bien, chez De Maistre elle est chargée d'une partie des intérêts de Liliane. Et Woerth a eu l'idée géniale de remettre récemment la légion d'honneur à De Maistre, on ne pouvait pas faire mieux. Pour l'instant ça ne se sait pas, mais ça finira par se savoir. Autant vous dire qu'on est mal barré. Et il y a pire : La comptable de Liliane, une gratinée celle-là, qu'elle a viré il n'y a pas longtemps, est en train de dire, cette sale menteuse, que par l'intermédiaire des Bettencourt on aurait touché de l'argent illégal à l'UMP ! Imaginez la suite : trafic d'influence, financement illicite de parti politique. C'est faux évidemment, archi-faux, mais c'est une affaire qui pourrait nous faire plonger même s'il n'y a pas vraiment de preuves pour l'instant.
- Comment vous voyez les choses Monsieur le président ?
- D'abord, j'ai dit à Woerth de tout nier en bloc. Il faut qu'il le répète devant sa glace avant de passer à la télé : " je n'ai rien à me reprocher, je n'ai rien fait d'illégal, tout est clair, tout est transparent, je connais à peine De Maistre, je ne lui ai jamais remis de légion d'honneur. Si ma femme travaille chez lui c'est une coïncidence, je suis un honnête homme, regardez-moi bien, est-ce que j'ai une tête à commettre des malversations" il ne faut surtout pas qu'il argumente parce qu'il finira par se planter. Il faut démentir, démentir, démentir encore, surtout sans argumenter.
- Mais vous croyez que les Français vont avaler ça ?
- je leur en ai fait avaler d'autres, figurez-vous. Le bouclier fiscal, les paradis fiscaux qui n'existent plus. travaillez plus pour gagner plus, mon salaire augmenté de 172%, les directeurs de chaînes nommés par moi, mon avion présidentiel à 176 millions d'euros en pleine période de rigueur etc, etc. J'ai demandé à Guéant de me préparer des éléments de langage que les ministres répèteront. C'est la chose qu'ils font le mieux, bien que je les trouve un peu scolaires dans l'exercice. Acharnement contre un honnête homme, méthodes fascistes dignes des années trente, presse de caniveau... etc, etc... Je vais organiser une interview sur l'une de mes chaînes publiques avec le petit P. Je l'aime bien P, il est plus petit que moi. J'aime bien les gens aussi petits ou plus petits que moi. C'est pour ça que j'aimais bien Kouchner jusqu'à ce qu'il crût qu'il était vraiment ministre des affaires étrangères ! Il est très sérieux en plus le petit P. C'est un élément sûr. C'est pas lui qui me poserait des questions embarrassantes. De toute manière la liste de questions, il l'aura la veille.
-J'ai une idée, Monsieur le président !
- Ah oui ?
-La procédure sur Eric Woerth, je vais la mener moi-même. Pas de juge d'instruction pour compliquer les choses ! Et puis ça paraîtra logique puisque les juges d'instruction vous vouliez les supprimer.
- Génial ! mais il va falloir tenir bon. Parce que c'est tout de même gonflé : un procureur qui mène lui-même une procédure dans laquelle il est impliqué. Il vous faudra du talent mon petit Philippe, beaucoup de talent !
- Je tiendrai le temps qu'il faudra, c'est-à-dire jusqu'au vote du parlement. j'assurerai devant la presse que c'est une procédure légale, qu'un juge d'instruction n'apporterait rien de plus. Mais après, l'opinion va s'agiter, et comme vous le savez, elle est turbulente, l'opinion dans ce pays et en plus imprévisible. Au bout du compte on aura du mal à échapper à un juge d'instruction indépendant.
- Je suis de votre avis, après, malheureusement, ça sera la curée pour ce pauvre Éric. Mais vous savez ce que c'est, on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. L'important c'est de faire passer la réforme. L'intérêt de la France d'abord ! Les Français m'en remercieront. Il faudra bien sacrifier le soldat Woerth. La politique comporte des risques. Ce sera dommage pour Éric, il est si dévoué, mais je suis sûr qu'il saura rester digne. C'est important la dignité en politique.