Vous les voyez ces idolâtres, ces fiévreux de l'admiration, ces allumeurs de bougies, ces accrocheurs d'ex-votos ! En ce moment ils sont effondrés devant la grille du château style disneyland du défunt Michael Jackson, le roi de la pop, l'idole, dont la mort "tragique" ( comme si toutes les morts ne l'étaient pas) assure la naissance du mythe. Demain ils inonderont leur mouchoir pour telle ou telle icône provisoire, chassée bientôt des souvenirs embrumés par telle ou telle autre, et si la nature a horreur du vide, de ce vide-là, la presse "pipol" s'en repaît en faisant tintinabuler joyeusement son tiroir-caisse. L'affaire ne date pas d'hier et l'on sait depuis Rudolph Valentino que la mort d'une star peut entraîner une série de suicides. Michael Jackson, au prodigieux talent, est mort d'un mal-être que les paillettes n'arrivaient plus à masquer depuis longtemps et que ses admirateurs tout occupés par leur enthousiasme sans bornes, leur ferveur aveugle et leur fétichisme enfantin ne voulaient pas voir et surtout refusaient de s'en inquiéter.
L'idolâtrie est une perversion de l'estime et l'inconditionnalité une négation de la raison. On peut le déplorer où ricaner devant leurs excès dérisoires. Il vaut mieux essayer de comprendre le phénomène.
En inventant la communication les religions ont drainé jusqu'à elles et canalisé les interrogations métaphysiques, les angoisses ontologiques. C'est une affaire qui marche encore et qui conduit parfois au fanatisme ; avec des hauts et des bas. En ce moment ce serait plutôt des hauts. L'idolâtrie vis à vis des chanteurs, des champions sportifs, des acteurs, est la version profane de la ferveur religieuse. On prend les béquilles que l'on peut. Pour certains c'est la drogue, la cigarette, l'alcool, la goinfrerie, la vitesse, toutes ces choses sans lesquelles paraît-il la vie ne vaut pas le coup d'être vécue, même si elles ont tendance à la raccourcir. Difficile d'être soi et de s'en contenter. Difficile d'exister sans manifestation de détresse, sans appel au secours. Woody Allen disait " il n'y a qu'une chose que je regrette dans ma vie : c'est de ne pas être un autre" Avec Kaka, avec Michael Jackson, avec Madona, on peut être un autre par moment et le partager avec d'autres peu satisfaits deux-mêmes. Ça vaut un comprimé de tranquillisant. La paix de l'âme, l'ataraxie dont parlait Épicure, nécessite un effort sans artifice. "Simplifiez !" écrivait Henri-David Thoreau dans " Walden ou la vie dans les bois" . Rien dans les mains, rien dans les poches, solitaire et silencieux. L'antinomie de la clameur rassurante des stades. Juste le bonheur tranquille d'être. L'époque ne s'y prête pas, le business non plus. C'est pourquoi le combat pour l'éducation et la culture n'a jamais été aussi indispensable.