PETIT SIGNE A BORIS

Je voudrais pas crever


Avant d'avoir connu


Les chiens noirs du Mexique


Qui dorment sans rêver


Les singes à cul nu


Dévoreurs de tropiques


Les araignées d'argent


Au nid truffé de bulles


Je voudrais pas crever


Sans savoir si la lune


Sous son faux air de thune


A un coté pointu


Si le soleil est froid


Si les quatre saisons


Ne sont vraiment que quatre


Sans avoir essayé


De porter une robe


Sur les grands boulevards


Sans avoir regardé


Dans un regard d'égout


Sans avoir mis mon zobe


Dans des coinstots bizarres


Je voudrais pas finir


Sans connaître la lèpre


Ou les sept maladies


Qu'on attrape là-bas


Le bon ni le mauvais


Ne me feraient de peine


Si si si je savais


Que j'en aurai l'étrenne


Et il y a z aussi


Tout ce que je connais


Tout ce que j'apprécie


Que je sais qui me plaît


Le fond vert de la mer


Où valsent les brins d'algues


Sur le sable ondulé


L'herbe grillée de juin


La terre qui craquelle


L'odeur des conifères


Et les baisers de celle


Que ceci que cela


La belle que voilà


Mon Ourson, l'Ursula


Je voudrais pas crever


Avant d'avoir usé


Sa bouche avec ma bouche


Son corps avec mes mains


Le reste avec mes yeux


J'en dis pas plus faut bien


Rester révérencieux


Je voudrais pas mourir


Sans qu'on ait inventé


Les roses éternelles


La journée de deux heures


La mer à la montagne


La montagne à la mer


La fin de la douleur


Les journaux en couleur


Tous les enfants contents


Et tant de trucs encore


Qui dorment dans les crânes


Des géniaux ingénieurs


Des jardiniers joviaux


Des soucieux socialistes


Des urbains urbanistes


Et des pensifs penseurs


Tant de choses à voir


A voir et à z-entendre


Tant de temps à attendre


A chercher dans le noir

Et moi je vois la fin


Qui grouille et qui s'amène


Avec sa gueule moche


Et qui m'ouvre ses bras


De grenouille bancroche

Je voudrais pas crever


Non monsieur non madame


Avant d'avoir tâté


Le goût qui me tourmente


Le goût qu'est le plus fort


Je voudrais pas crever


Avant d'avoir goûté


La saveur de la mort...

Boris Vian

Comments

[Barovin]

Hymne à la vie.

[83600]

Un groupe actuel a sorti une nouvelle version. Un hommage de jeunes à Boris Vian, à écouter depuis 
http://sd-1.archive-host.com/membres/playlist/14602824719833883/Tetes_Raides_-__Je_voudrais_pas_crever.mp3
Pour faire connaissance avec le groupe, leur site est sympa dans sa présentation, http://www.tetesraides.fr/ 

[GIHER]

J' ai écouté la version des têtes raides. Sympa. En rock ou pas, c'est bouleversant

[claudioo]

j'apprécie particuloèrement les soucieux socialistes. tres actuel.

[GIHER]

les pensifs penseurs aussi

[mariachris]

des jardiniers joviaux ! ah ben ouiche !

[claudioo]

lorsque j'ai connu florence, c'était un soir où chez des copains je chantonnais les textes de boris, dont celle là. la plus belle interprétation, à mon avis, est celle de serge reggiani qui lui
donne une puissance et une intimité presque gênante.a une époque, je crois pouvoir dire que je connaissais par coeur 90% de ses chansons mais comme je ne pratique plus beaucoup, j'oublieun peu.

[GIHER]

La première fois que j'ai  lu ce poème, je devais avoir 19 ans. Vian venait de mourir. Ce texte m'a profondément marqué. Ensuite je l'ai entendu par Pierre Brasseur sur un superbe coffret 33
tours qui doit probablement être un collector aujourd'hui. Je l'ai entendu tout récemment dit par J.L Trintignant sur le dernier CD de l'accordéoniste Daniel Mille. C'est toujours aussi
bouleversant. Je ne connais pas la version Reggiani. Merci de me l'avoir indiquée.